Je vous enseigne le surhumain (Nietzsche)
(…) Le corps créateur a formé l'esprit à son usage pour être la main de son vouloir.
Jusque dans votre folie et votre mépris, contempteurs du corps, vous servez votre Soi. Je vous le dis, c'est votre Soi qui veut mourir et se détourne de la vie.
Il ne peut plus faire ce qu'il aime par-dessus tout : créer ce qui le dépasse ; c'est là l'objet de son désir suprême, et toute sa ferveur.
Mais à présent il est trop tard – aussi votre Soi veut-il mourir, ô contempteur du corps.
Votre Soi veut périr, et pour cette raison vous êtes devenus des contempteurs du corps. Car vous n'êtes plus aptes à créer ce qui vous dépasse.
Et c'est pourquoi vous vous irritez contre la vie et la terre. Il y a une jalousie inconsciente dans le regard louche de votre mépris.
(…) Voyez-moi ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et n'en deviennent que plus pauvres. Ils veulent le pouvoir, et d'abord le levier du pouvoir, beaucoup d'argent – ces impuissants !
Voyez-les grimper, ces singes agiles. Ils grimpent les uns sur les autres, et se font crouler mutuellement dans la fange et dans l'abîme.
Tous veulent accéder au trône ; c'est leur folie ; comme si le bonheur était sur le trône. Souvent c'est la boue qui est sur le trône, et souvent c'est le trône qui est planté dans la boue.
Tous sont fous, je vous le dis, autant de singes grimpeurs et de singes grimpeurs et fiévreux. Leur idole sent mauvais, ce monstre froid ; eux aussi sentent mauvais, ces idolâtres.
Voulez-vous étouffer dans l'exhalaison de leurs gueules et de leurs appétits, ô mes frères ? Brisez les vitres plutôt, et sautez dehors !
Fuyez cet odieux relent ! Evitez de tomber dans l'idolâtrie de ces superflus !
Fuyez cet odieux relent ! Eloignez-vous des fumées de ces sacrifices humains !
Pour ceux qui s'exilent volontairement, seuls, ou à deux, il reste encore des lieux où souffle l'haleine des mers silencieuses.
Une vie libre reste possible aux grandes âmes. En vérité, quand on possède peu on est d'autant moins possédé. Louée soit une modeste pauvreté !
Où finit l'Etat commence l'homme qui n'est pas superflu ; où finit l'Etat commence le chant de la nécessité, la mélodie unique, irremplaçable.
Où finit l'Etat – regardez là-bas, mes frères – n'apercevez-vous pas l'arc-en-ciel et les ponts qui mènent au Surhumain ?
(…) C'est mal récompenser un maître que de rester toujours son disciple. Et pourquoi ne voulez-vous pas effeuiller les feuilles de ma couronne ?
Vous avez pour moi de la vénération ; mais qu'arrivera-t-il si un jour votre vénération s'effondre ? Gardez-vous d'être écrasés par la chute d'une statue.
Vous dites que vous croyez en Zarathoustra ? Vous croyez en moi ? Mais qu'importent tous les croyants !
Vous ne vous étiez pas encore cherchés quand vous m'avez trouvé. Ainsi font tous les croyants, c'est pourquoi toutes les croyances importent si peu.
Maintenant je vous ordonne de me perdre et de vous trouver ; et quand vous m'aurez tous renié, alors seulement je reviendrai parmi vous.
En vérité, c'est avec d'autres yeux que je chercherai alors mes amis perdus, c'est d'un autre amour que je vous aimerai.
Et une fois encore, vous redeviendrez mes amis et les fils d'une unique espérance ; alors, pour la troisième fois, je reviendrai parmi vous afin de célébrer avec vous le grand Midi.
Et le grand Midi, c'est l'heure où l'homme, parvenu au milieu de la voie qui va de l'animal au Surhumain, célèbrera comme sa plus haute espérance le chemin déclinant du soir ; car c'est le chemin d'un nouveau matin.
Ainsi parlait Zarathustra